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alain de benoist - Page 137

  • L'homme numérique

    Nous reproduisons ici un article d'Alain de Benoist, publié dans le numéro de mars 2010 du mensuel Le Spectacle du Monde et intitulé L'homme numérique.

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    L'homme numérique

    Aucun régime politique n’a autant changé la vie des hommes que les grandes innovations technologiques. Qu’on pense à la voiture, à l’avion, à la pilule contraceptive, à la télévision. Le principe fondamental de la technique, disait Friedrich Georg Jünger (le frère d’Ernst Jünger), c’est le principe de faisabilité : dès l’instant où quelque chose est techniquement possible, cette chose sera réalisée, qu’on le veuille ou non. Les hommes politiques, les moralistes, les membres des comités de « réflexion éthique » auront par rapport à elle toujours un temps de retard. Au-delà du bien comme du mal, la technique s’impose d’ellemême, transformant le possible en nécessaire, et même en inéluctable.

    Aujourd’hui, c’est incontestablement Internet qui a le plus changé la vie quotidienne de centaines de millions d’individus. Il n’y avait en 2000 que 400 millions de connectés à Internet. Aujourd’hui, leur nombre dépasse le quart de la population mondiale. Issu d’Arpanet, réseau militaire mis en place par le Pentagone dans les années 1960, Internet s’est avéré l’un des outils de communication dont la pénétration a connu la progression la plus rapide de l’histoire : vingt fois plus vite que le téléphone, dix fois plus que la radio, trois fois plus que la télévision. La grande rupture, désormais, est celle qui, dans le monde, oppose les « connectés » aux « non-connectés ».

    La nouvelle technologie a d’abord touché les jeunes, traditionnellement qualifiés d’« early adopters » (utilisateurs de la première heure). D’où une rupture d’usage, séparant les « digital natives » ou « autochtones du monde numérique » à l’intérieur duquel ils sont nés, des « digital immigrants », venus sur le tard aux nouvelles technologies. Un fossé s’est ainsi creusé entre les générations.

    Au début des années 1990, les premiers internautes s’émerveillaient de pouvoir accéder à toutes sortes d’informations et de services par le biais des moteurs de recherche, et de pouvoir communiquer instantanément par courriels. Ils se sont ensuite mis à participer. Ils ont publié leurs photos sur Flickr ou Snapfish. Ils ont regardé des vidéos sur YouTube et Dailymotion, consulté des dossiers sur Wikipedia. Les logiciels gratuits leur ont permis de créer des blogs. Ils ont enfin accédé aux « réseaux sociaux » (Facebook, MySpace, Twitter, Bebo, Plaxo, etc.). Le Web est ainsi devenu la plate-forme sur laquelle on peut tout faire, ou presque : recevoir des messages, consulter en haut débit, se connecter avec des réseaux, bavarder en direct, faire des achats ou des réservations, trouver des partenaires, etc.

    Internet a bien sûr ses adversaires irréductibles, qui ne sont pas tous des nostalgiques de l’ère Gutenberg, comme il a ses défenseurs inconditionnels, qui soulignent ses avantages évidents : information plus diversifiée, nouvelles libertés, possibilité d’exercer un contrepouvoir, etc.

    La question de savoir dans quelle mesure la révolution numérique ne participe pas elle aussi de la société de surveillance et de contrôle qui a succédé aux anciennes sociétés de l’enfermement carcéral, reste néanmoins posée. La référence omniprésente, c’est évidemment Big Brother, figure centrale de 1984, le célèbre livre de George Orwell. Constatant que nous sommes aujourd’hui « soumis à un double traçage : un traçage physique à travers la vidéosurveillance ou encore la géolocalisation, un traçage temporel à travers les réseaux sociaux et les moteurs de recherche », Alex Türk, président de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), déclarait récemment à l’Assemblée nationale : « Nous sommes non seulement confrontés à une multitude de “petits Brothers” impossibles à localiser, mais en outre, nous ignorons délibérément la menace que ces derniers font peser sur les libertés individuelles. »

    Contrairement aux fichiers de police, qui relèvent de ce que le jargon actuel appelle une logique top down (descendante), les renseignements fournis sur les réseaux Internet relèvent d’une logique bottom up (ascendante) : les données permettant de ficher les individus sont fournies par les intéressés eux-mêmes, pour les échanger ou les partager avec les autres membres des réseaux.

    En décembre 2009, une émission sur France 2, consacrée à la « planète Facebook », rappelait que toutes les informations données sur eux-mêmes par les membres des « réseaux sociaux » (leurs activités professionnelles, leurs opinions politiques, leurs préférences sexuelles, etc.) sont instantanément consultables par 150 millions de membres, qu’elles seront encore accessibles dans vingt ou trente ans (à leur future femme, à leurs enfants, à leurs patrons), et qu’elles pourront aussi bien être vendues demain à des firmes industrielles ou des services de renseignements. « Une mine d’or pour la police », lisait-on déjà dans le Figaro, en avril 2009. Conclusion de Jérôme Drieux, auteur du reportage : « Si l’on veut préserver sa vie privée, il ne faut pas s’inscrire. »

    C’est le double visage d’Internet. D’un côté, il ouvre des possibilités nouvelles d’information et d’échange, dont les pouvoirs publics s’efforcent, sans grand succès, de juguler la spontanéité anarchique ou l’illégalité des contenus. De l’autre, il permet de repérer, ficher, détecter. Autrefois, la police ne pouvait guère arrêter que des pédophiles isolés. Aujourd’hui, grâce à Internet, elle peut identifier et démanteler des réseaux entiers. Méthode qui pourrait tout aussi bien être utilisée demain contre les « mal-pensants ».

    Autre sujet de préoccupation : la marchandisation massive des technologies nouvelles. Certains spécialistes ont ainsi décrit l’iPad, la nouvelle tablette électronique d’Apple, comme la « pierre tombale du Web 2.0 ». Explication. Inventée en octobre 2004 par l’éditeur californien Tim O’Reilly, l’expression «Web 2.0 » désignait au départ le point de bascule (tipping point) au-delà duquel Internet passerait d’un statut purement utilitaire (l’ère des premiers PC, avec IBM comme acteur principal) à celui de lieu d’épanouissement et de créativité personnelle (avec Microsoft comme symbole). Mais l’iPad n’est qu’un simple outil de consultation et de récréation. Avec iTunes (musique), AppleStore et sa librairie iBooks, Apple se borne à faire de la commercialisation de contenus créés par des professionnels. Et, tout comme Internet, Facebook est une entreprise privée qui ne s’est pas créée par philanthropie, afin d’aider les gens à se faire des relations, mais pour gagner de l’argent (les données recueillies valent de l’or). Malgré l’explosion des blogs, le modèle dominant sur Internet n’est pas la création de contenus, mais la consommation et le visionnage.

    Le « village global » chanté par Marshall McLuhan semble s’être ainsi transformé en un grand bazar planétaire, où l’on vend en ligne toutes sortes de biens (sur eBay et autres boutiques en ligne) et de services (banques, transports, rencontres amoureuses, etc.). Et le rêve utopique d’un « nouvel espace public électronique, convivial et démocratique » (Serge Proulx) s’être fracassé sur les réalités marchandes pour devenir un vaste supermarché sous surveillance, en même temps qu’une gigantesque salle de jeux pour adolescents immatures.

    Les psychiatres, qui se sont aussi penchés sur le phénomène, constatent de leur côté que les blogs, les forums et autres « bacs à sable » servent avant tout de défouloirs aux incultes anonymes, aux obsédés et aux paranoïaques, qui trouvent sur la Toile le moyen de démultiplier l’impact de messages irresponsables rédigés dans l’anonymat.

    Mais il ne suffit pas de dire que l’on peut faire d’Internet, comme de tout autre chose, un bon et un mauvais usage. Il faut encore constater que cet usage transforme l’utilisateur. En changeant le monde, le Web change aussi l’homme qui y habite. Une transformation que l’on n’a pas encore appréciée à sa juste valeur, à la fois parce que les moyens d’analyse font défaut (les vieux schémas conceptuels sont devenus obsolètes) et par manque de recul (« ça va trop vite »). « Il n’y a pas de lois de la modernité, disait Jean Baudrillard, il n’y a que des traits de la modernité. » Quels sont les grands traits de la modernité numérique? Et les caractéristiques anthropologiques de l’Homo numericus ?

    La première, c’est évidemment la destitution de l’écrit. L’avènement d’une nouvelle culture ne se fait jamais sans douleur. Elle implique l’exclusion ou la marginalisation de la culture précédente. Distinguant entre les différentes « médiasphères », Régis Debray a, de longue date, observé que nous sommes passés de la « graphosphère », dominée par l’imprimerie, à la « vidéosphère », où règnent les techniques de l’audiovisuel. La destitution de l’écrit, qui va de pair avec la fin de l’écriture manuelle, voire de l’échange de correspondance (on publiait naguère les lettres des grands écrivains, il est probable qu’on ne publiera guère leurs mails), laisse prévoir que la librairie en ligne va supplanter la bibliothèque, et que le livre électronique (l’e-book) va remplacer sa version papier.

    Conséquence linguistique : tandis que l’orthographe se délite, la langue qui s’impose sur Internet est de plus en plus l’anglais, ou plus exactement le « globish », c’est-à-dire un sousanglais d’aéroport. Il suffit pour s’en rendre compte de lire la presse spécialisée, où il n’est question que de « touch de search », de « user generated content », de « mobile devices », des « codes du roleplay » et autres « widgets ».

    Mais c’est surtout au profit de l’image que l’écrit s’efface. Georges Bernanos définissait la modernité comme un « complot contre la vie intérieure ». L’explosion des images y contribue. Elle s’explique parce que l’image est une ressource facile à produire, et qu’elle n’exige aucun effort pour être consommée. Or, le primat de l’image sur l’écrit, c’est la fin d’une certaine façon de s’informer et de se cultiver, car on ne regarde pas une vidéo comme on lit un livre. Pas question, quand on regarde, de s’arrêter un instant pour réfléchir. Le rythme ne dépend pas de nous. L’oeil fonctionne par lui-même, cessant d’être l’auxiliaire du cerveau.

    On aboutit ainsi à ce que Gilles Lipovetsky et Jean Serroy ont appelé l’« écran global ». Nous vivons de plus en plus dans un monde d’écrans – télévision, publicité, vidéo, Internet, clips, écrans tactiles, téléphones portables –, tandis que l’addiction à l’objet fait de chaque utilisateur le terminal de son ordinateur ou le prolongement de sa télécommande. Dans la rue, dans les transports, au bureau comme au restaurant, tout le monde appuie sur des boutons, touche des écrans, tapote sur son ordinateur portable, son téléphone cellulaire multifonctions, son iPod, etc. L’Homo numericus a des allures de singe savant. Nous sommes dans un monde « où on ne regarde plus les étoiles, mais les écrans » (Paul Virilio). L’expérience vécue est remplacée par le virtuel, qui permet de connaître le monde entier sans être allé nulle part.

    Phénomène surtout sensible chez les « geeks », les « cinglés », jeunes accros de toutes les technologies numériques, pour ne rien dire des « nolife » qui, eux, n’ont quasiment plus aucun lien avec le monde extérieur et passent vingt-quatre heures sur vingt-quatre devant leur écran. Les geeks ne ressentent aucun besoin d’accumuler les contenus, car Internet remplace virtuellement tous les outils de référence. La conservation des contenus leur apparaît comme un souci d’un autre âge. André Gunthert, directeur du Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine, constate que, pour beaucoup de jeunes, « l’idée d’acheter des choses pour les garder surprend. Ils ont du mal à comprendre l’utilité de l’archive : ils vivent sur l’idée de l’abondance des contenus, de la disponibilité permanente et perpétuelle des images, orientée vers le futur et non pas vers le passé ».

    L’ère numérique, c’est aussi par définition celle du virtuel. De l’« assistant » qui vous salue quand vous entrez dans une boutique en ligne au monstre qui cherche à vous tuer du site World of Warcraft, tout ce qui se passe dans le cyberespace est virtuel. Jean Baudrillard disait que la transformation du monde réel par le virtuel le rend « hyperréel ». Cela signifie que le simulacre y est toujours plus vrai que nature.

    Le virtuel, à sa façon, abolit l’espace et le temps. Le sociologue Paul Virilio, qui s’est beaucoup intéressé aux notions de vitesse et d’accélération, fait un parallèle entre Internet, qui se fonde sur la consommation immédiate des contenus, et le fait qu’un événement qui se produit à la surface de la Terre (une grave crise financière, par exemple) se propage instantanément à toute la planète. La révolution informationnelle et numérique conduit vers la synchronisation, c’est-à-dire le temps quasi simultané, qu’on peut aussi appeler temps mondial ou temps zéro. « Les technologies du temps réel, les technologies de la mondialisation du temps, estime Virilio, portent en elles-mêmes une puissance d’oubli, d’évacuation de toutes les réalités. Elles provoquent une déréalisation, une perte de réalité. » En ce sens, ajoute-t-il, nous assistons à la « défaite des faits ».

    A l’image de la mondialisation, Internet est un espace planétaire sans extérieur (Paul Virilio parle de « globalitarisme »). La temporalité se réduit à l’immédiat, c’est-à-dire à la culture de l’instant : « Les longues durées perdant leur intérêt au profit de l’instantanéité et de l’immédiateté, l’événement ressenti instantanément devient proéminent. » Tout ce qui est immédiat est valorisé, tout ce qui exige de l’attente est dévalorisé. « Nous subissons une pression qui mange le passé », remarque également André Gunthert. Mais cette pression se nourrit aussi d’une orientation vers l’avenir. Dans les nouvelles technologies, l’idéologie du progrès reste vivante, puisque par définition le meilleur modèle est toujours celui qui apparaîtra demain. 

    Le sociologue d’origine polonaise Zygmunt Bauman aborde la même problématique en parlant de « liquidité ». L’avènement de la modernité tardive (dite aussi « seconde modernité » ou « postmodernité »), explique-t-il, a marqué le passage d’une phase solide à une phase liquide « dans laquelle les formes sociales ne peuvent plus se maintenir durablement, parce qu’elles se décomposent en moins de temps qu’il ne leur en faut pour être forgées ».

    La société à l’ère de la mondialisation est une « société liquide », où les relations, les identités, les appartenances politiques et même les catégories de pensée deviennent à la fois polymorphes, éphémères et jetables. Les votes électoraux obéissent à un principe de rotation accélérée (au fil des années, on essaie tous les partis). Les engagements politiques, perdant tout caractère militant « sacerdotal », deviennent transitoires. Les luttes sociales s’inscrivent dans des laps de temps de plus en plus limités. Les liens amoureux obéissent au même principe. Le mariage d’amour étant la principale cause du divorce, mariages et liaisons durent de moins en moins longtemps. Il y a seulement dix ans, la durée moyenne d’un mariage dans les pays occidentaux était de sept ans. Elle n’est plus aujourd’hui que de dix-huit mois.

    Tout engagement à long terme, que ce soit dans le domaine politique ou dans le domaine amoureux, est assimilé à une perte de liberté ou devient incompréhensible. Fragilisation des liens ou des rapports humains, qu’ils soient intimes ou sociaux, désagrégation des solidarités durables, mais aussi sentiment d’impuissance (on a l’impression de ne plus rien maîtriser) qui fait naître des sentiments d’incertitude, d’angoisse et d’insécurité. L’un des livres de Zygmunt Bauman s’intitule la Vie en miettes…

    Cette « liquidité » rejoint la déterritorialisation qui est de règle dans le cyberespace. Il en va de même du téléphone cellulaire, de l’ordinateur portable ou des techniques WiFi, qui suppriment tout lien rattachant à un lieu précis. La mobilité, la « transparence », la disponibilité permanente sont érigées en idéal. La supériorité des « flux sur les codes » avait déjà été annoncée par Gilles Deleuze et Michel Foucault. Toutes les nouvelles technologies se ramènent à des transmissions de flux. Passage de la logique tellurique à la logique maritime, qui ne connaît pas de frontières, mais seulement des vagues et des flux. Logique du commerce et de l’échange, qui va de pair avec le déracinement. L’Homo numericus, nouveau nomade, est à la fois de partout et de nulle part.

    Les réseaux, qui servent autant à connecter qu’à déconnecter, ont pareillement remplacé les structures, dont la seule raison d’être était d’attacher. L’ère numérique marque à la fois le temps de l’hyper-individualisme et celui des réseaux. Michel Maffesoli a bien montré que nous vivons aujourd’hui à l’époque des réseaux, des communautés et des « tribus ». Sur fond de crise grandissante de l’Etat-nation (qui n’est plus souverain qu’en matière de surveillance et de sécurité) et de décomposition accélérée de toutes les institutions « surplombantes », les réseaux prolifèrent de manière virale, créant des « noeuds » partout.

    MySpace a été le premier site permettant aux jeunes de créer en ligne un « profil » à leur image et de partager leurs passions avec leurs amis. Les « réseaux sociaux » n’ont ensuite cessé de se développer. Leur succès est d’abord dû au fait qu’ils constituent autant d’espaces privilégiés de socialisation virtuelle. Dans Comment le Web change le monde, Francis Pisani et Dominique Piotet parlent d’« alchimie des multitudes » pour qualifier la façon dont la Toile recompose les rapports humains. Mais peut-on vraiment parler d’émergence d’une nouvelle forme de sociabilité ? Oui et non. Des réseaux sans frontières se forment un peu partout, mais ceux qui leur appartiennent restent en définitive seuls derrière leur écran. On « communique » d’autant plus qu’on n’a rien à dire. On a des amis partout, mais on ne les a jamais vus. Difficile dans ces conditions de parler de nouveau lien social.

    Nombre de sociologues pensent que les « réseaux sociaux » d’Internet ne remédient pas à la fragmentation sociale, qui rend les gens inaptes à former et réaliser un projet commun, mais tend au contraire à l’aggraver. Dominique Wolton rappelle que l’information et la communication sont rarement synonymes. Bernard Stiegler, sociologue et philosophe, montre comment les industries culturelles et les technologies numériques, alors même qu’elles semblent valoriser avant tout la singularité des individus, aboutissent en réalité à ce que les « je » s’effacent au profit d’un « on » moutonnier. « Derrière la communication planétaire ultrarapide, prouesse technique indéniable, affirme Paul Virilio, on voit apparaître des risques de conditionnement que tout l’appareil de propagande s’efforce de camoufler. »

    La notion à retenir ici est celle de contre-productivité, qui avait en son temps été théorisée par Ivan Illich. Trop d’informations que l’on ne peut ni hiérarchiser ni vérifier équivalent à une absence d’informations. Les masses anonymes des grandes villes vivent dans de nouveaux déserts. L’accumulation d’images fait surgir un nouvel iconoclasme. La perte généralisée des repères fait exploser le nonsens. Le désir de liberté totale peut alors aussi bien s’inverser en dépendance absolue. On ne peut être libre que lorsque l’on peut maîtriser ce qui nous environne et nous domine. L’Homo numericus est, à bien des égards, un homme qui ne domine plus rien, parce que ses formes de vie de plus en plus « technomorphes » le mettent dans la dépendance totale de la technologie.

    Une chose est sûre : l’ère numérique n’en est qu’à ses débuts. En juillet prochain, la firme américaine Fisher-Price lancera une nouvelle tablette électronique comprenant lecteur e-book, album de photos, lecteur MP3, logiciel de dessins et jeux vidéo. Particularité : elle sera destinée aux enfants de trois à six ans.

     

    Alain de Benoist (Le Spectacle du Monde, mars 2010)

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  • L'homme numérique : un dossier de Spectacle du Monde

    Le numéro de mars de la revue Le Spectacle du Monde, en kiosque depuis deux jours, comprend un  dossier sur le thème de l'homme numérique avec, notamment, un article d'Alain de Benoist intitulé "Internet, l'avènement de l'Homo numericus". On y trouve aussi un article de Michel Marmin, "Thrillers, le nouveau printemps du film politique" ainsi que  la chronique politique d'Eric Zemmour et les rubriques habituelles.

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  • Hommage à Jean-Claude Valla

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    Jean-Claude Valla est mort d'un cancer le 25 février 2010.
    Journaliste engagé, historien éclairé, il avait choisi de combattre avec sa plume.
    Membre fondateur du Groupement de recherche et d'étude pour la civilisation européenne en 1968, il avait été secrétaire général de cette association de 1973 à 1978 et avait accompagné sa montée en puissance.
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    Au cours de la même période, il avait aussi dirigé la rédaction de la revue Eléments.

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    Dans sa carrière d'homme de presse, après avoir été journaliste à Valeurs actuelles, il a été rédacteur en chef puis directeur de la rédaction du Figaro-Magazine de 1978 à 1980, à l'époque où ce nouveau supplément du Figaro avait l'ambition de rendre la droite intelligente. Il a raconté cette aventure et sa triste conclusion dans un long article intitulé Avec Louis Pauwels au Figaro-Magazine.
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    De 1983 à dirigé Magazine Hebdo, un hebdomadaire de droite intelligent, offensif et décomplexé. Il a par la suite poursuivi cette entreprise sous la forme plus modeste d'une lettre hebdomadaire, jusqu'en 1999, dont l'éditorial était assuré par Alain de Benoist.

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    Amateur d'histoire, grand connaisseur de la période de la guerre civile européenne, il collaborait régulièrement à la Nouvelle revue d'histoire de Dominique Venner mais avait surtout créé la collection des Cahiers libres d'histoire aux éditions de la Librairie nationale, dans laquelle il a signé , depuis 2000, pas moins de douze titres. De la Cagoule aux socialistes dans la collaboration en passant par la France sous les bombes américaines, il bousculait à plaisir, dans un style percutant et alerte, les idées reçues grâce à une documentation abondante et de qualité.
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    Il avait publié en 2008 un Doriot, dans la collection Qui suis-je, aux éditions Pardès.
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    La mort l'a saisi dans sa soixante-sixième année, l'empêchant de venir à bout de son projet d'un maître livre sur la période de l'occupation dans la région de Lyon, qu'il murissait depuis plusieurs années.
    Que cet homme libre repose en paix.
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  • Flash n°33 : un dossier sur l'avortement

    Le nouveau numéro du magazine Flash est disponible avec, notamment, un dossier sur l'avortement et le point de vue d' Alain de Benoist sur la question.

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    Au sommaire :

    IVG : le débat avorté !

    • Retour sur la loi Veil, analyse d’une politique de l’échec.

    • Après trente ans en milieu ouvrier, une femme médecin témoigne…

    • Alain de Benoist : « l’Église n’a pas toujours condamné (de la même manière) l’avortement. »

    • Contre l’avortement : SOS futures mères ! Une aide morale et financière pour un esprit militant.

    • Albert Ali : « Pourquoi les musulmans sont-ils écartés des marches pro-vie ? »

    Reportage exclusif : « Quand on n’a plus rien, que vaut la vie, si ce n’est une mort digne d’être vécue ? » Ibrahim Joudah, notre correspondant permanent à Gaza dans les tunnels de contrebande.

    Al Qaida frappe encore… avec le slip explosif ! Christian Bouchet dénonce la manipulation.

    Guy Môquet était-il un résistant ? Encore une occasion de se taire ratée par Nicolas Sarkozy.

    Il y a un siècle : Paris sous les eaux ! Une exposition à ne pas manquer à la Galerie des bibliothèques.

    L’inclassable Jean-François Davy : un cinéma indépendant… gentil et intelligent !

    Ils se foot de nous : « C’est pas moi m’sieur, c’est ma maman ! » Petit tour d’horizon des excuses les plus bidons pour justifier le dopage.

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  • Alain de Benoist sur Radio Courtoisie !

    Alain de Benoist sera le 10 février 2010, de 19 h 30 à 21 h, l’invité d’Emmanuel Ratier sur Radio-Courtoisie. Radio Courtoisie peut être écoutée en direct sur internet. On peut trouver des informations sur les programmes de cette radio sur ce site (non-officiel) : Radio Courtoisie, le blog.
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  • Pour « Rébellion », le socialisme est toujours une idée neuve

    Publié en mai 2009 aux éditions Aléxipharmaque, Rébellion, l'Alternative Socialiste Révolutionnaire Européenne, rassemble sous la signature de Louis Alexandre et de Jean Galié un ensemble de textes parus dans la revue Rébellion depuis 2003. "A l’Etat capitaliste, Rébellion oppose la Nation des travailleurs, à l’européisme technocratique la fédération européenne des peuples socialistes, au projet mondialiste le monde multipolaire débarrassé de l’impérialisme". Le livre est précédé d'une longue préface d'Alain de Benoist. Nous reprenons ici la chronique qu'a fait de ce livre Pierre le Vigan dans la revue Eléments (n°132, juillet-septembre 2009).

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    Pour « Rébellion», le socialisme est toujours une idée neuve

     

    Rébellion. C’est le nom d’un groupe et d’une revue. C’est maintenant un livre, présenté par Louis Alexandre et Jean Galié. Qui sont-ils : de jeunes gens qui réfléchissent au-delà des clivages partisans, qui refusent de se laisser enfermer dans les catégories de gauche et de droite instrumentalisées par l’hyperclasse mondialiste pour que rien ne change vraiment. Que veulent-ils : lutter contre le despotisme du capital, sortir de l’aliénation capitaliste et salariale. Sortir d’un monde à la fois monoforme et unipolaire. Ecrire pour cela ? Précisément, face au capital, il est subversif de continuer à penser et à écrire, même si on ne saurait se limiter à cela : il faut passer d’une critique théorique à une pratique critique. « Tout progrès vient de la pensée et il faut donner d'abord aux travailleurs le temps et la force de penser » disait Jean Jaurès en octobre 1889. Penser reste le premier acte d’émancipation sociale : c’est d’ailleurs pour cela que la pensée même est criminalisée de plus en plus souvent.

    La revue Rébellion du groupe éponyme a publié des entretiens avec des intellectuels comme Georges Corm, Alain Soral, Claude Karnoouh, André Bellon ou encore Alain de Benoist. C’est ce dernier qui a préfacé, en fin analyste des catégories politiques et des mouvements d’idées, le livre Rébellion, sans cacher sa sympathie pour la perspective socialiste révolutionnaire de cette jeune équipe. L’idéal du groupe Rébellion est celui d’une communauté militante, ce qui évoque à la fois Ernst Jünger dans les années 20 et le bolchévisme. Qu’est-ce que le socialisme pour Rébellion ? On pourrait répondre que c’est l’esprit de révolte. C’est cela mais pas seulement. C’est un régime où la satisfaction des besoins prime sur la recherche du profit. Pour être classique, cette définition reste sans doute indépassable, sachant bien sûr que les besoins ne sont pas seulement matériels mais relèvent de la nature de l’homme : besoin de liens, besoin de chaleur, de reconnaissance, etc. L’homme n’a pas seulement besoin de pain et d’un toit.

    Les auteurs ont compris l’importance de se situer dans une continuité historique du socialisme, et d’identifier certaines figures majeures et fondatrices. Parmi celles-ci se situe Pierre-Joseph Proudhon, mutualiste et fédéraliste, et Marx bien sûr, dont la critique de Proudhon a d’ailleurs été plus nuancée qu’on ne le dit en général.

    Il y a aussi des événements emblématiques. C’est le cas de la Commune de Paris, avec Eugène Varlin, Louise Michel, Benoit Malon, Edouard Vaillant ou encore l’officier Louis Rossel. Les auteurs soulignent à juste titre que tout un courant socialiste, avec Bakounine, mais avec Marx lui-même, a défendu le principe de l’autonomie ouvrière et populaire qui était celui de la Commune de Paris comme une pratique révolutionnaire profondément nécessaire. Elle n’était au demeurant pas spécifique à Paris puisqu’il y eut des ébauches de Communes à Lyon, Marseille, Limoges, Toulouse, Narbonne, le Creusot, … La Commune est pour Marx une première ébauche de dépassement de l’Etat comme structure parasite de la société, au service de la domination bourgeoise.

    Pour Rébellion, le socialisme est aussi une figure morale. C’est pourquoi un portrait est consacré à la belle figure panthéiste, libre et socialiste de Jack London, ou encore à l’irlandais James Connolly, indissociablement socialiste et combattant d’un nationalisme de libération. Les portraits les plus inattendus sont sans doute ceux de Heinrich Laufenberg et de Fritz Wolffheim. Ce sont des socialistes révolutionnaires ou encore des nationaux communistes bien plus que des « nationaux bolchéviks ». Bolchevik, un mot qui signifie « majorité », n’a de sens précis que pour désigner une fraction, d’ailleurs minoritaire, qui était celle de Lénine, du Parti Ouvrier Social Démocrate de Russie avant 1914 (social démocrate ne voulait alors pas du tout dire « socialiste réformiste »).

    Dés 1917, Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim défendent l’idée des conseils ouvriers. Ce doit être pour eux la source nouvelle du pouvoir exécutif. Hostiles à la guerre et à l’Union sacrée, qui se met en place en Allemagne comme en France, ils ne désertent toutefois pas. Ils développent avec les socialistes de Hambourg les thèses d’une « révolution par le bas », décentralisatrice, à l’opposé du léninisme bolchevik. Ils appellent à l’unité des classes laborieuses à l’exception de la grande bourgeoisie et appellent à l’appropriation de l’idée nationale par les travailleurs dans le cadre de la construction d’une « Nation socialiste ».

    Un temps membre du parti communiste allemand (KPD), H. Laufenberg et F. Wolffheim en sont exclus et créent le parti communiste ouvrier allemand (KAPD) où se retrouvent notamment Otto Rühle et Paul Mattick, ce dernier étant une autre figure inspiratrice du groupe Rébellion. Le KPD reprendra l’orientation très « nationale » du KAPD mais bien entendu pas du tout la critique du « capitalisme bureaucratique d’Etat » qui tint lieu de socialisme en URSS.

    Une autre figure majeure pour nos auteurs est Georg Orwell, engagé pendant la Guerre d’Espagne dans le POUM, Parti ouvrier d’unification marxiste, liquidé par les communistes staliniens. Orwell dénonça ensuite tous les totalitarismes, y compris celui des sociétés dites « libérales », le totalitarisme de l’homme machinal. Orwell disait que le socialisme, c’est de se demander : « Qu’est-ce qui rend l’homme plus humain ? », ce qui suppose d’avoir une idée juste de l’homme et de ne le réduire ni à un producteur ni à un consommateur. Les auteurs s’attachent aussi aux figures de Hans et Sophie Scholl, et Christoph Probst, de la Rose Blanche, résistants au nazisme et patriotes allemands qui furent guillotinés en 1943.

    Les parties philosophiques et théoriques du livre ne sont pas moins riches. Outre une belle synthèse de la philosophie politique, qui prend parti pour Althusius contre Jean Bodin, en une opposition frontale qui gagnerait à être nuancée, le portrait philosophique de Lucian Blaga permet de découvrir un auteur roumain peu connu. Pour L. Blaga, c’est la compréhension des horizons éthiques et esthétiques qui transforme la vie en destin. Critique du racialisme biologique, Lucian Blaga développe l’idée d’une « matrice stylistique » qui donne vie et sens aux individus et aux peuples. Ainsi l’homme n’est pas « citoyen du monde » - qu’il ne le soit pas ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’enjeux planétaires - mais l’homme est au contraire inscrit dans un paysage, d’où l’importance du thème du village chez L. Blaga, thème évidemment un peu daté.

    L’article « Orientations nationales-bolchéviques » a l’inconvénient de reprendre un terme ambigu, très marqué par la fascination pour les méthodes léninistes dont il est prouvé qu’elles ont servi d’exemple à Hitler lui-même (Ernst Nolte). Mais c’est bien sûr à Ernst Niekisch qu’il est fait référence, avec le lien entre conscience de classe et libération nationale. E. Niekisch tenta d’influencer le SPD de l’intérieur vers le nationalisme après la défaite allemande de 1918, puis fonda ses propres groupes « nationaux bolchéviques » notamment en lien avec Karl-Otto Paetel. Il fut constamment hostile au régime hitlérien.

    Compte tenu de l’absence en France de quelque chose comme le « national bolchévisme », il est heureux que les équipes de Rébéllion se définissent non comme « nationaux bolchéviques » mais comme « communistes nationaux » (p. 174 et 175). Ce communisme national postule l’analyse de classe et la lutte de classe, c’est pourquoi il se distingue des nationaux-socialistes de gauche antihitlériens du type le Front Noir d’Otto Strasser et des divers « fascistes de gauche ». La nation est, pour le groupe Rébellion, un point d’appui pour la défense des intérêts des travailleurs et pour la construction d’une Patrie socialiste.

    Presque un siècle après la Commune de Paris, Mai 68 n’a certes pas été sanglant mais son importance est considérable. Les auteurs notent l’ambivalence du phénomène : d’un coté il y a le déploiement et la victoire de l’hédonisme et de l’idéologie libérale-libertaire, bien analysée par Michel Clouscard (et ensuite par Alain Soral), d’un autre coté il y a une tentative d’instaurer une autonomie ouvrière qui est le meilleur du socialisme même si ce n’est pas tout le socialisme. Ce dernier aspect est la constitution des travailleurs comme sujet historique au-delà de l’identification à un parti politique, le PCF. C’est « l’insurrection de l’être » (Francis Cousin) face à la Forme-Capital.

    L’article sur les syndicats appelle une remarque : la constitution de SUD n’est pas un échec par rapport à l’apparition de nouveaux rapports de force dans le paysage syndical, et SUD ne peut être mis sur le même plan que les embryons de syndicats FN qui n’ont jamais été une tentative sérieuse pour une raison simple : si pendant 10 ans le FN a été le premier parti ouvrier en terme de vote de cette catégorie sociale pour lui, il n’a jamais cherché à donner une place aux ouvriers ni dans ses instances dirigeantes ni dans son programme (a-t-il jamais proposé des interventions ouvrières dans la gestion des entreprises ?).

    C’est à juste titre, par contre, que Rébellion défend la place du politique. Les Conseils ouvriers ne peuvent exister durablement que dans le cadre d’une République sociale, et non d’une république bourgeoise. De même notent-ils à propos que la « société de l’indifférence » (Alain-Gérard Slama) laisse le champ libre à la fois au tribalisme et au totalitarisme technicien des sociétés hypermodernes de contrôle total. L’indifférence alimente la transparence qui permet le contrôle total. « L’opéra mythologique mondialiste des grandes machineries financières et terroristes ne va pas cesser de tenter d’intensifier le contrôle technique et policier de la planète à mesure qu’il va perdre de plus en plus la capacité de se contrôler lui-même. » écrit de son coté Gustave Lefrançais. Mais il y a bien sûr des soulèvements qui laissent penser que l’indifférence a peut être atteint ses limites.

    Quand les auteurs s’interrogent sur la ville, c’est avec une même justesse. L’hypermodernité produit la ségrégation dans la ville et la segmentation de la ville, la paix sociale est achetée par l’argent public, des zones de non droit, de délinquance, de ghettos, de chômage, de laideur et d’isolement sont délibérement sacrifiées. Les auteurs proposent un urbanisme inspiré de Michel Ragon et de Michel de Sablet (mais ne semblent pas avoir lu Le Vigan !), avec un désengorgement des grandes villes.

    L’approche de l’écologie est complémentaire. Elle ne nie pas la nécessité d’un développement social, tout différent du productivisme économique. Les auteurs opposent à un courant de l’ « écologie profonde » anti-humaine, une écologie sociale inspirée de Murray Bookchin, un communiste libertaire américain, et de Pierre Kropotkine. Selon Rébellion, la décroissance est un antidote illusoire à la « course aveugle à la croissance » : ce n’est pas parce que les classes dirigeantes font croire que plus est toujours mieux qu’il est judicieux de théoriser que mieux, c’est toujours moins. Le développement durable, dit l’équipe de Rébellion, ne doit pas être abandonné à ses récupérateurs. Ouvrant une parenthèse personnelle, je soutiens que le développement durable poussé jusqu’au bout est un développement social de tout l’homme et de tout dans l’homme. Il revêt une dimension profondément transformatrice et révolutionnaire, tandis que la théorie de la décroissance court le risque d’être assimilée à une valorisation de la récession et de son cortège de souffrances sociales accrues.

    L’immigration est un sujet majeur qu’il fallait aborder. Du point de vue libéral, l’homme est une marchandise et même la première des marchandises. Or, le libéralisme veut la libre circulation des marchandises et donc des hommes. Il la veut à son profit. L’immigration participe de la chosification de l’homme tout comme de la destruction des nations et des identités. L’immigration dite « choisie » - par le grand capital – vide les pays du tiers monde de leurs élites, et tend à accroître l’immigration de la misère et l’immigration de peuplement, notamment l’immigration clandestine souvent supérieure à 10 % de l’immigration légale. Ces transfusions de populations, cette allogénisation est masquée par le fait que les naturalisations massives par le droit du sol maintiennent le nombre apparent d’étrangers à un pourcentage à peu près stable malgré environ 200 000 entrées légales en France par an.

    Les auteurs remarquent justement que le regroupement familial de 1975 a été voulu, alors que les travailleurs immigrés s’engageaient de plus en plus dans les luttes sociales, comme le moyen de les « stabiliser » et de freiner leurs ardeurs combatives en leur donnant une famille à faire vivre. Bien entendu, le chômage de masse a changé la donne très vite. Il n’en reste pas moins, à mon avis, que l’immigration continue de peser à la baisse sur les salaires, mais aussi de diviser la classe ouvrière, en opposant les « petits blancs » qui se lèvent tôt, aux assistés, soit par manque de qualifications, ou de motivation, ou décalage culturel. De fait, les immigrés ayant perdu leurs repères culturels d’origine sans en avoir acquis de nouveau, sont sans tradition de lutte sociale à l’européenne.

    Immigrés non assimilés et Français déracinés dans des quartiers qui perdent leur francité, qui subissent un néo-tribalisme violent et une libanisation-ghettoisation de notre société tendent tous deux à devenir de véritables machines à consommer et/ou à déprimer (ce n’est pas incompatible, bien au contraire), zombies d’une société machinale qui a très exactement besoin de ce type humain (français ou immigrés) qui ne pensera jamais et ne pourra jamais « faire la révolution ».

    Mais justement, quel cadre adopter pour cette révolution sociale ? Si le groupe Rébellion est pour l’unité politique de l’Europe, c’est parce que la France seule est impuissante et parce que le régionalisme n’a pas d’avenir s’il est un séparatisme. L’Europe fédérale du peuple et du travail est la nouvelle patrie de Rébellion. C’est Jean Jaurès, qui n’était pas précisément un socialiste révolutionnaire, qui disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques » (1903). C’est un précepte plus actuel que jamais

    Pierre le Vigan (article publié dans la revue Eléments, n°138, juillet-septembre 2009)

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